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Poèmes de Lucian Blaga

Traducere în limba franceză de Jean-Louis Courriol


Moi je ne foule pas aux pieds la corolle des merveilles du monde

Moi je ne foule pas aux pieds la corolle des merveilles du monde
et ma raison ne tue pas
les mystères que je rencontre
sur ma route
dans les fleurs, dans les yeux, sur les lèvres ou sur les tombes.
La lumière des autres
étouffe le charme de l’impénétrable tapi
au cœur des ténèbres,
mais moi,
moi, ma lumière accroît le mystère du monde –
et tout comme la lune, de ses rayons blancs,
ne diminue pas, mais tremblante
accroît plus encore le mystère de la nuit,
j’enrichis moi aussi l’horizon des ténèbres
de larges frissons de mystère sacré
et tout ce qui est incompris
le devient plus encore
sous mes yeux –
car j’aime, moi,
les fleurs, les yeux, les lèvres et les tombes.


Le chêne rouvre

Dans de clairs lointains j’entends, du torse d’une tour,
une cloche battre comme un cœur
et dans la douce rumeur
il me semble sentir
couler dans mes veines des gouttes de silence, pas de sang.

Chêne rouvre dressé à la lisière du bois,
pourquoi suis-je accablé,
sous les ailes ployées d’une profonde paix,
quand je suis étendu à ton ombre
et que tu me caresses de ta feuille enjouée ?

Qui sait ? – Peut-être que
c’est dans le cœur de ton bois que l’on creusera
mon cercueil, bientôt,
et le silence
que je goûterai entre ses planches
est peut-être celui que je ressens déjà :
oui, je le sens couler goutte à goutte de tes feuilles –
et sans dire un mot
j’écoute grandir dans ton corps ce cercueil,
mon cercueil,
à chaque seconde qui passe,
chêne rouvre dressé à la lisière du bois.

Silence

Tout est si calme autour de moi qu’il me semble entendre
le bruit que font les rayons de la lune contre les vitres.

Dans ma poitrine
une voix étrangère est montée
et une chanson chante en moi une peine qui n’est pas la mienne.
On dit que certains de nos ancêtres, morts avant l’heure,
pleins de sang jeune encore dans les veines,
de grandes passions dans le sang,
de grand soleil dans leurs passions,
reviennent,
reviennent continuer de vivre
en nous
la vie qu’ils n’ont pas pu vivre.

Tout est si calme autour de moi qu’il me semble entendre
Le bruit que font les rayons de la lune contre les vitres.

Oh, qui sait ?, – mon âme, dans quelle poitrine tu chanteras
toi aussi, dans les siècles des siècles,
sur de douces cordes de silence,
sur une harpe de ténèbres – ta peine étouffée,
ta joie brisée de vivre ? Qui sait ? Qui sait ?

Tu ne pressens donc pas ?

Tu ne pressens donc pas la folie qui est en moi lorsque tu entends
murmurer la vie en moi
comme une fontaine
jaillissante, dans une grotte résonnante ?

Tu ne pressens donc pas mon embrasement lorsque dans mes bras
tu trembles comme une goutte
de rosée embrassée
par des traits de lumière ?

Tu ne pressens donc pas mon amour lorsque je regarde
avec passion dans l’abîme de toi
et que je te dis :
Non, jamais je n’ai vu Dieu
d’aussi près !

Mélancolie

Un vent égaré essuie ses larmes froides
sur les vitres. Il pleut.
Je sens monter en moi des tristesses sans raisons mais toute
la peine
que je sens, je ne la sens pas en moi,
dans mon cœur,
dans mon sang,
c’est dans les gouttes de pluie qui coulent que je la sens.
Et, greffé sur mon être, le vaste monde
avec ses automnes et ses soirs
me fait mal comme une plaie ouverte.
Vers les sommets montent des nuages aux pis pleins.
Il pleut.

La source de la nuit

Ma beauté,
tes yeux sont si noirs que le soir
quand je suis couché, la tête sur tes genoux,
il me semble
que tes yeux, tes yeux profonds, sont la source
d’où s’écoule en secret la nuit sur les vallées,
sur les montagnes et sur les plaines,
pour recouvrir la terre
d’une marée de ténèbres.
Si noirs sont tes yeux,
ma lumière.

Belles mains

Je pressens :
belles mains, de même que vous enveloppez aujourd’hui de
toute votre chaleur, ma tête pleine de rêves,
de même tiendrez-vous un jour
l’urne pleine de mes cendres.

Je rêve :
belles mains, lorsque de chaudes lèvres disperseront
au vent mes cendres,
que vous tiendrez au creux de vos paumes comme en un vase,
vous serez pareilles à des fleurs
dont la brise disperse le pollen.

Et je pleure :
vous serez si jeunes encore, belles mains.

J’attends mon crepuscule

Je laisse mes yeux plonger dans la voûte étoilée –
et je sais que moi aussi je porte
dans mon âme, d’innombrables étoiles,
et autant de voies lactées,
miracles de l’obscurité.

Mais je ne les vois pas,
j’ai trop de soleil en moi
voilà pourquoi je ne les vois pas.
J’attends que le jour tombe en moi
que mon horizon referme sa paupière,
j’attends mon crépuscule, ma nuit et ma douleur,
que mon ciel tout entier s’obscurcisse
et qu’en moi se lèvent les étoiles,
mes étoiles,
que je n’ai encore jamais vues.

La lumière du paradis

Je ris vers le soleil !
moi je n’ai pas le cœur à la place de la tête
ni la tête à la place du cœur !
Je suis ivre du monde et païen !

Mais comment pourrait bien grandir dans mon jardin
tant de rire sans la chaleur du mal ?
Et comment pourrait fleurir sur tes lèvres tant d’ensorcellement
si tu n’étais pas pétrie,
mon amour sacré,
de volupté, de la volupté cachée du péché ?

Tel un hérétique je réfléchis et je me dis :
D’où le paradis tire-t-il
sa lumière ? – Je sais: c’est l’enfer qui l’éclaire
de ses flammes !


Coquillage

Souriant, audacieusement, je regarde en moi
et je prends mon cœur
dans ma main. Tout tremblant,
je serre mon trésor contre mon oreille et j’écoute.

J’ai l’impression
de tenir un coquillage à la main,
dans lequel résonne, incompris et infini,
le grondement d’une mer inconnue.

Parviendrai-je donc,
un jour, sur le bord
de cette mer qu’aujourd’hui
je sens
mais ne vois pas ?


Nous et la terre

Il tombe tant d’étoiles en cette nuit.
On dirait que le démon de la nuit tient la terre entre ses mains
et souffle sur elle des étincelles comme sur de l’amadou
pour l’embraser, follement.
Dans cette nuit où tombent
tant d’étoiles, ton jeune corps
de sorcière brûle entre mes bras
comme dans les flammes d’un bûcher.

Je suis fou,
et je tends, langues de feu, mes bras
vers toi pour faire fondre la neige de tes épaules nues,
pour aspirer, pour avaler, affamé,
ton printemps, tes forces, ta fierté, ton sang,
tout d’un coup.
A l’aube, lorsque le jour allumera la nuit,
lorsque la cendre de la nuit se perdra,
emportée par le vent du levant,
à l’aube je voudrais que nous soyons
cendre aussi,
la terre et nous.


Crépuscule d’automne

Du plus haut des montagnes le crépuscule souffle
de ses lèvres cramoisies
sur la cendre des nuages
et ravive
la braise tapie
sous leur friable croûte grise.

Un rayon fuse, fulgurant,
du couchant
replie ses ailes et se pose en tremblant
sur une feuille:
mais le fardeau est trop pesant,
la feuille tombe.

O, mon âme !
Il faut que je la cache mieux
et plus profond, dans ma poitrine,
que ne puisse l’atteindre aucun rayon de lumière :
elle s’effondrerait.

L’automne est là.


Eté

A l’horizon – au loin – des éclairs muets
tressautent de temps à autre
comme de longues pattes d’araignée – détachées
du corps qui les portait.

L’air brûle.

La terre n’est plus qu’un champ de blé
qu’un chant de sauterelles.

Au soleil les épis serrent sur leurs seins leurs grains
comme des nourrissons qui tètent.
Et le temps étend paresseusement ses instants,
il s’endort entre les fleurs des coquelicots.
Un grillon lui chante à l’oreille.